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le terrain de sport
21 octobre 2015

ma ville est le plus beau park - les propositions du XIIIème arrondissement - Paris et ailleurs

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Bonjour,

les abords de la gare de Lyon sont représentatifs du 12ème arrondissement : sans emblème, en errance visuelle. Coincés entre des centres commerciaux pensés dans les années 70, des hôtels sollicités par les sinistres années 80 et des tours qui voudraient bien se rêver asiatiques si seulement elles l'osaient. Mais le Parisien est pusillanime et ne leur en laissera pas l'occasion. Un paysage urbain disponible, en fait. En quête de l'identité qu'on voudra bien lui donner. Les bonnes volontés semblent y avoir renoncé. Cette ville éreinte toute velléité de projection vers un ailleurs qui lui serait préjudiciable. Qui la remettrait en cause, l'ouvrirait à des questionnements.

 

Si l'on suit une logique qui entraîne de rive droite en rive gauche, le pont Charles-de-Gaulle est la prochaine étape qui nous rapproche du colimaçon verdâtre, incarné par la Cité de la mode et du design (sous-titrée Les Docks, ahahah, n'est pas Docklands qui le veut, tout un programme, dotée de cafés inaboutis et d'un toit-terrasse mort-né) et de la gare d'Austerlitz en total abandon, à la merci d'une rénovation reportée à après-demain, sur fond de Pitié-Salpêtrière et des ensembles plutôt réussis du boulevard Vincent-Auriol, nantis de ruptures d'échelles, de tailles et de volumes que leur envieraient les cités du 9-3, égarées au-delà du périphérique, si seulement elles en connaissaient l'existence. Traversons les voies et empruntons la rue de Tolbiac. Cette coulée de bitume sillonnant le 13ème et le reliant au 14ème, propose bien des alternatives à la si vantée cohérence parisienne. Ici, l'histoire ne s'est pas souciée d'orthodoxie. On pourrait croire que la rue a poussé sans père ni mère dans un souci d'échapper aux contraintes d'une éducation bourgeoise. De petits immeubles début de siècle servent la soupe à des vaisseaux culturels et administratifs sortis des chantiers pompidoliens et moisissent à l'ombre des seuls vestiges parisiens d'une pensée avant-gardiste, telle qu'on l'entendait il y a 50 ans. Souvenez-vous, à l'époque on demandait encore aux enfants de dessiner ce que, selon eux, serait la ville du 21ème siècle. On trouvera une réponse à Bangkok, Canton, Shangai, Tokyo ou Singapour, mais certainement pas à Paris qui n'a pas su respecter les projections enfantines.

 

Ou sur la rue de Tolbiac, justement, qui évoque sans prétention la version européenne de cette cité fantasmée. Un vaste foutoir sans autre ambition que celle de ne pas répondre à une norme ou de s'ignorer en tant qu'icône touristique. Sans autre volonté que d'accueillir des parcelles d'humanité et de les saupoudrer le long de ses trottoirs. Mais pour rencontrer le vrai visage du 13ème, celui qui sera peut-être un jour le visage de Paris réconciliée, sinon avec une idée de l'avenir, au moins avec une notion de ce qu'est le présent, il faut encore creuser, ou plutôt pousser vers le haut, monter jusque sur la dalle des Olympiades, d'abord, entrer dans ses galeries marchandes, glaner quelques notes de cantopop au passage, ressortir ensuite par l'avenue de Choisy et pousser presque jusqu'aux maréchaux avant de bifurquer sur la gauche en choisissant l'avenue d'Ivry pour direction plus pressentie que réellement évaluée : la ligne discontinue de barres et de tours n'autorise pas de repérages précis. Après avoir traversé une esplanade très fréquentée, il faudra passer les portes du centre commercial Masséna 13. Laissez-vous alors porter par le mouvement, le long des couloirs de la galerie, en regardant les groupes installés aux comptoirs des bars minuscules ou à de simples tables où l'on joue aux dés, aux dominos ou au mahjong et vous constaterez que le cosmopolitisme dont se réclament les rues de la capitale et qui ne déroule en fait qu'une incarnation, quartier par quartier, d'affirmations identitaires (Algériens, Portugais, Camerounais, Congolais, petite bourgeoisie blanche, grosse bourgeoisie de banque ou d'affaires, bourgeoisie à prétentions bohème, étudiants, la liste pour infinie qu'elle soit, demeure linéaire, sans création d'interactivités), existe ici et seulement ici, où Antillais, Métropolitains et Asiatiques se mélangent en proportions quasiment égales, où chacun se croise et se parle, sans distinction d'ethnie ou de culture, mais avec la discrétion et l'absence de curiosité propres aux mégalopoles. Arrêtez-vous alors sous n'importe quel prétexte, celui d'acheter une mangue ou une bière Chang, un banh mi ou un baozi fourré à la pâte de haricots rouges, et testez la sensation qui vous habite soudain. Son goût d'inattendu. Vous logez pour quelques instants au centre de la globalité et de la modernité... une modernité que les modes ignorent, Paris ayant prouvé qu'elle ne savait se réinventer qu'en sédimentant sur des strates familières (l'Est dans les années 80, puis le Nord-Est depuis les années 90) comme un animal de compagnie vieillissant sur son fauteuil club défoncé.

 

Dans ce sud du 13ème, les habitudes sociales se déplacent en rebroussant le poil des Etats-Unis des 30 glorieuses ou de la France de ce début du 21ème siècle. Replaçant le mall, inévitable agora du devenir humain, qu'on le veuille ou pas, que ça plaise ou non, au centre des préoccupations sociales et des zones habitées, des architectes visionnaires ont anticipé dès les années 70 sur le 21ème siècle qui sera affaire de villes globales ou ne sera pas. Et ce n'est pas parce que des bourgeois barbus et so cooool, équipés de vélos hors de prix et de vêtements de travail idem, mais dont il ne faut jamais oublier que les parents portaient des costumes Alfredo Dominguez et des robes Mugler, des montres Breitling ou Cartier, caracolaient en Golf Volkswagen et occupaient les mêmes secteurs professionnels pas spécialement novateurs - c'est-à-dire les médias et la pub, pour faire simple - imaginent que réinvestir des rue étroites et sombres dans lesquelles vivaient déjà - et très mal - leurs ancêtres, est l'avenir de l'homme qu'on est obligés de prêter attention à leurs jérémiades décadentes : ils sont les outils d'une trendification maniée au bénéfice de la gentrification en cours par des puissances qui leur échappent.

 

A ce titre, il est d'autant plus dommage que la cuisine française, mise au pied du mur par de nouvelles habitudes et les cuisines émergentes, capable de balancer aux ordures les ors, les nappes empesées et les sauces épaisses et liées par de savantes et ennuyeuses opérations, le tout à grande aide de brigades asiatiques, se soit réinventée non pas dans des lieux créateurs de nouvelles ambiances et de nouveaux paris, mais dans ces ruelles désuettes et encombrées. Il s'agit peut-être d'un autre débat, mais qui se révèle significatif de l'amalgame malheureux qui se fait entre la perception des mouvements qui agitent les habitudes sociales en profondeur et celle des simples clapotis de surface.

 

Au XIXème siècle, sollicité par la création de modes de vie engendrés par la révolution industrielle, Haussmann le premier avait su déchirer la ville pour mieux la reconstruire. A l'époque des premières interrogations sur son devenir, à l'ère du pétrole et de la voiture déclinants, les urbanistes des années 70 ont éclaté le jeu de mécano urbain pour concentrer l'habitat sur la verticale et permettre ainsi de rationnaliser les transports en commun, reprenant en partie les théories du zoning oubliées depuis le début du 20ème siècle et pourtant revenues depuis sur la table à dessin d'un Le Corbusier, pour ne citer que lui. Le 13ème arrondissement met depuis 40 ans ces propositions à la disposition de ses habitants qui s'en sont emparés et ne semblent pas décidés à ce qu'on les leur retire. Qu'attendent les autres arrondissements parisiens pour se repenser et penser leur avenir ? Que le prix du mètre carré devienne inversement proportionnel aux capacités à se projeter dans le futur des habitants de Paris ? Le jeu qui se joue aujourd'hui dans le triangle Masséna, avenue d'Ivry et avenue de Choisy, et même au-delà, au gré des ensembles sociaux du 13ème, est l'enjeu du 21ème siècle parisien. Soit le reste de la ville s'y prêtera, soit Paris s'enfermera à jamais dans son attitude muséale et ne devra sa survie qu'au tourisme et aux riches acquéreurs étrangers. La question se poserait en fait en ces termes : doit-on privilégier l'autonomie et une réinvention en interne des principes actifs de cette ville, ou choisir la dépendance et l'inconnu - c'est-à-dire le bon vouloir des nouveaux propriétaires et des modes passagères ?

 

Un tout petit premier pas vient d'être fait avec l'uniformisation du prix du Pass Navigo et l'éclatement des zones de tarification qui (entr)ouvre enfin une porte aux banlieues dans le débat citadin en opérant des incises dans la trachée asphyxiée de la ville. L'étape suivante sera la nécessaire démolition des îlots insalubres semés çà et là au hasard de ces immeubles sans cachet des 17ème et 18ème siècles qui fondent le Paris amélipoulinesque tant sollicité par les touristes sans imagination et leurs homologues parisiens. Nul ne saurait remettre en question la préservation des ensembles admirables qui structurent le Marais, le quartier de l'Opéra, le 7ème et le 8ème arrondissements, pour ne citer que ceux-là, et font la gloire et la renommée de Paris. Mais qui songerait à conserver le vilain petit immeuble du 11ème arrondissement, de Ménilmontant ou de n'importe quel quartier envahi par le bourgeois top cooool évoqué ci-dessus, qu'aucune ville de province ne saurait nous envier puisqu'il a son corollaire dans n'importe quelle rue de n'importe laquelle d'entre elles, si ce n'est au nom d'un intérêt strictement spéculatif dirigé non vers le bipède urbain, mais contre lui ? De la même manière, quelle politique urbaine persisterait à promouvoir le développement du vélo, ce truc lent, dangereux, archaïque et fragile qui gêne aussi bien les progressions du piéton qu'il génère des risques d'accidents automobiles, si ce n'est en le replaçant dans le contexte du taux d'erreurs inévitables généré par le lent processus de compréhension du transport actuellement à l'oeuvre qui part de l'individu pour aller vers la masse, seule façon d'envisager les déplacements, urbains dans un premier temps, interurbains par la suite ? Qu'on laisse le vélo et le petit immeuble aux sous-préfectures, ils y ont leur place, ils sont à leur mesure. A l'égal du parc, contradiction en soi, négation de la ville, illusion nourrie en son sein que la cité entretient pour se conforter dans l'idée que le changement d'état peut menacer toute forme immeuble et réside souvent dans les paradoxes qui équilibrent les paradigmes entretenus par l'homme. Le parc, notion appelée à disparaître, à moins qu'elle ne se conçoive en tant que déduction horizontale (les vastes pelouses du parc de Choisy, de Hyde Park, de Century park à Pudong, ouvertes sur l'espace et la respiration) de la verticalité des tours, pour instiller volumes, contrepoints et perspectives dans l'esprit de la ville. Dans le cas contraire, celui, notamment de ces jardins à l'anglaise, Holland Park, Buttes-Chaumont ou Park Guell, artificiels en cela qu'ils miment la nature qui, par essence, n'a pas de modèle et ne prétend pas en offrir un, il semble difficile d'envisager une permanence urbaine pour l'arbre, hors les trottoirs sur lesquels il se rend, en revanche, indispensable, apportant ombre et fraîcheur, créant des couches de sens contrastées entre la base et le sommet des immeubles.

 

 

Il est indispensable aujourd'hui de séparer les voies qui mènent à la refonte de la ville telle qu'une partie du monde la vit de celles qui foncent dans le mur des gadgets de la modernité. S'il demeure évident que la ville de demain doit continuer à se lire dans les divers feuilletages que le temps y a superposés, il apparaît également évident qu'on ne fait pas du neuf avec du vieux et que la notion de centre-ville, voire d'hyper-centre ainsi qu'on a maintenant coutume d'appeler le noyau historique, devra être révisée en passant par la décentralisation. Les villes qui savent se réinventer aujourd'hui apprennent à ne pas circonscrire leurs efforts au tissu initial. Ainsi New York qui récupère une seconde jeunesse avec Brooklyn. Ou Shanghaï qui vit son futur avec Pudong. Ce n'est pas en revisitant sans cesse les mêmes 100 km2 jusqu'à épuisement de la matière même de la ville et de la faculté à rêver son cadre qu'on s'invente un futur. Tout le monde l'aura compris, même si l'image est évidente : le débat urbain doit s'élever au niveau des tours qui constitueront le paysage obligé de toutes les villes actives de demain. Ou renoncer à être.

Les quelques photos installées ci-dessous cherchent à illustrer plus qu'à étayer le texte que vous venez de lire.

 

Gare de Lyon - les couloirs

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Gare de Lyon - les couloirs - entre deux terminaux

 

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Gare de Lyon - le parvis

 

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Gare de Lyon - la pente méridionale

 

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Les contrebas

 

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8.00 du matin - à contre-jour

 

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En direction de la Seine

 

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 En abordant le pont Charles-de-Gaulle et en lui tournant le dos

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Le chantier de la gare d'Austerlitz

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Quai d'Austerlitz - Paris sera toujours Paris... Soit une approximation de la modernité dès que la ville cherche à s'installer dans le présent

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Chevaleret, le boulevard Vincent-Auriol

 

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Un groupe électrogène à l'abandon

 

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La Pitié salpêtrière - le dôme

 

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L'iron flat parisien (sic) - perdu aux confins du MK2 bibliothèque

 

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Rue de Tolbiac - en deçà et en-dessous des Olympiades

 

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Les escaliers mécaniques - stairway to elsewhere

 

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Les Olympiades - l'esplanade

 

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Restaurant vietnamien familial - détail

 

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Le hall d'une tour construite à l'ouest de l'ensemble

 

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En traversant Tolbiac - depuis les Olympiades

 

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La rue de Tolbiac au quotidien

 

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L'envers des Olympiades - à l'approche des boulevards de ceinture - dans la proximité des grands commerces

 

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Vers les maréchaux  - un des multiples restaurants polymorphes qui participent du prosélytisme du quartier

 

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Choisy, là où les voies se rencontrent

 

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21.30 - quand le sens d'un restaurant se comprend voire se conçoit dans l'absence de clients

 

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21.45 - une agence de voyage fermée pour la nuit

 

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22.00 - un dernier passage par l'esplanade des Olympiades

 

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22.10 - Les Olympiades - La face sud - regard sur les banlieues oubliées par la ville

 

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https://www.youtube.com/watch?v=3AG1qsS7NiM

Merci de votre attention

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