Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
le terrain de sport
30 août 2015

la critique est aisée - dans l'intimité de l'oiseau à ressort - haruki murakami - Tokyo

DSC05236-001

Bonjour,

doit-on se poser la question de ce qu'est une bonne critique ? Cette question est-elle légitime ou ne représente-t-elle qu'une incidence mineure comparée au plaisir que procure la lecture du roman en lui-même ? Une bonne critique s'attache-t-elle à attirer/repousser un lecteur potentiel ou à rassurer le rédacteur sur la compréhension qu'il a pu avoir du texte, voire à l'aider à éclairer cette compréhension ? Une bonne critique doit-elle dégager la force d'attraction immédiate d'une oeuvre concrète et ainsi enfermer le livre dans une vision ou livrer le poids de mystère d'une oeuvre abstraite et ouvrir le roman à de multiples possibles ? En somme, une bonne critique a-t-elle à voir avec le particulier ou avec le général ? Assurément, la critique qui vient après cherchera à toucher une corde particulière puisque je n'ai rien entendu aux "Chroniques de l'oiseau à ressort". Rien entendu dans le sens de "rien arrêté", pas réglé mes comptes avec ce livre qui continue à opérer son travail en moi un trimestre après que sa lecture a pris fin. Achoppé sur l'histoire de cet "homme sans qualités" qui avance en reculant, en prenant la tangente, qui nous apparaît sans doute plus proche et plus réel au début du livre qu'à son terme, et dont l'itinéraire progresse en trébuchant, en se nourrissant de tout ce qui se présente à lui sauf de la trajectoire effective de son principal protagoniste,Toru Okada.

Ce dernier, apparemment dépourvu d'intérêt pour la vie en société et la définition des paramètres qui y sont liés : carrière, activités sociales, apparence, vient de quitter son travail de clerc d'avocat qui, par ailleurs, ne le satisfaisait pas. Il vit à côté de sa femme qui semble ne plus offrir de prise à ses émotions et dont il observe les allées et venues selon les fluctuations d'un désarroi léger, jusqu'à ce qu'à force d'indifférence non souhaitée elle fuie entre ses doigts, glisse par la porte grande ouverte et n'en passe plus le seuil. A compter de ce moment, Toru va aller de rencontre en rencontre avec en fil rouge une jeune voisine, rescapée d'un accident de moto dans lequel son ami à péri, un chat qui disparaît et réapparaît, comme incarnant le motif de la propre existence du personnage, en proie à l'évanescence, et un puits, ouvert comme une étoile morte dans le jardin d'une demeure à l'abandon. Sans que nous soyons jamais confontés à un récit d'initiation, au fil de ses dérives de l'un à l'autre des protagonistes, le personnage de Toru va cependant évoluer. Non pour s'étoffer, comme le veut la tradition de ce type de roman, mais pour s'appauvrir, s'amoindrir, se dissiper. Les personnages qu'il rencontre (deux soeurs plus ou moins clairvoyantes, plus ou moins magiciennes, un rescapé de la guerre de Mandchourie, une guérisseuses de maux imaginaires et son fils cloîtré dans le silence) sont en demande et souhaitent réinvestir une vie qui les a laissés pour compte. Pour dissiper la malédiction de leur déshérence, Toru devra s'investir, en temps, en attention, tant au moral qu'au physique. Débloquer les mécanismes qui les empêchent d'avancer. Les aider à sortir les uns après les autres des impasses dans lesquelles les circonstances les ont perdus, alors que lui-même demeurera sur le bord de la route, acteur de leur retour à la vie, spectateur de sa propre impuissance à trouver une fonction à la sienne. Chacun lui arrachera ainsi ce volume d'espoir nécessaire à une reconstitution et, pour ne pas s'évaporer tout à fait, Toru devra se réfugier dans le puits, parfois sans solution de départ, et chercher à tâtons les portes d'accès aux couloirs et aux chambres en forme de limbes d'un hôtel rêvé où il trouvera des réponses dépourvues de sens commun. Avec lui, nous épierons le retour d'un chat, attendrons que le gond d'une porte tourne, écrirons des lettres à une petite voisine en mini-short et lunettes de soleil, autant d'alibi et de prétextes qui, plus qu'à une recherche de soi, mèneront à une tentative d'oubli de soi, de report d'angoisses dans un angle mort où elles achèveront de se vider.

Débarrassé des contraintes narratives d'usage (temps, espace, véracité - ici, le fantastique, comme souvent chez Murakami, n'est pas présenté comme tel, mais figure un élément supplémentaire du déroulement de l'histoire, apportant une strate au feuilletage de sens qui constitue le récit - tension dans l'enchaînement des faits) "Chroniques de l'oiseau à ressort" prend le temps d'autopsier une descente aux enfers sans jamais en stigmatiser l'horreur, en observant à la loupe son protagoniste principal se débattre mollement dans une toile d'araignées de contradictions dont la résolution est sans cesse différée. Faisant l'économie d'une chute à grand spectacle (à peine apprendra-t'on que l'épouse de Toru le trompait sans mauvaise conscience et en y prenant un plaisir physique intense, mais également sans volonté de le blesser), Murakami décortique surtout une donnée intrinsèque de la culture japonaise qui veut qu'il puisse exister une certaine grandeur dans la déchéance pour peu que celle-ci ait fait l'objet d'un choix. Même si l'on ne peut pas strictement parler de "décision", on remarque que l'absence de volonté chez Toru Okada n'est pas consentie, mais adoptée voire endossée, avant tout caractérisée par les séjours répétitifs dans le puits. A aucun moment cet "homme ordinaire" n'inspire la pitié, ni n'éveille la compassion. Son plongeon progressif vers nulle part (parce que c'est bien vers le néant qu'il se dirige) prend alors l'allure d'une mise à nu et non plus d'une éxecution. Il va de haut (pas très haut) en bas (très bas) avec humilité et partant, honneur, et tombe sans jamais ployer, porté par ceux auxquels il aura donné un peu - ou beaucoup - de lui. Soutenu, comme on soutient un homme blessé, par l'auteur qui seul semble croire encore en lui, le protagoniste perdra en épaisseur et en réalité pour gagner en immanence. Une lente descente en soi qui ressemble à un soupir. Le dernier ?

Merci de votre attention

 

 

 

 

 

 

 

Publicité
Commentaires
Publicité
Archives
Publicité