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le terrain de sport
28 décembre 2015

les meilleurs moments 2015 selon le Terrain de Sport - les 10 choix de mon année - ici et ailleurs

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Bonjour,

avec le temps, je pense que les quelques lecteurs qui fréquentent ce blog en ont compris les mécanismes. On n'y parle que de ce qu'on aime, pas de ce qu'on pourrait éventuellement aimer, ni de ce que les autres aiment. Et on n'aime pas grand chose. Parce qu'il n'y a pas grand chose de désirable, ce qui éveille le désir demeure fragile, instable et volage. Et si l'on aime ce que les autres n'aiment pas, ce n'est ni une pose, ni une attitude, ni une réaction épidermique, c'est le reflet de ma nature. Partant de ce postulat, la liste qui va suivre est nécessairement courte - pas parce que l'année défunte fut décevante, mais parce que les oeuvres, quel que soit le domaine concerné, ne naissent pas en un claquement de doigts. Elles nécessitent qu'un dosage de deux ferments infiltre le cerveau de celui qui les ouvrira aux autres : culture et circonstances. Et la recette n'existant pas en tant que telle, les artistes doivent sans cesse la réinventer ou la réinterpréter, ce sera comme on voudra, c'est ce qu'on nomme la création. D'où la rareté de la chose.

Voici donc, là-dessous, l'année 2015 selon mon goût, dans les niches que je connais et affectionne. Pour les autres, je ne possède pas d'avis.

 

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1 morceau

Tame Impala - The Less I Know the Better

Pas seulement pour la mélodie, pas si évidente, que basse et guitare se partagent, secondées par les arpèges, pas seulement pour le clip qui m'a réconcilié avec la notion, quasiment enterrée pour moi avec son homologue publicitaire dans les années 80, d'images censées apporter un supplément d'âme à la musique, mais aussi parce que TI est sans doute le dernier groupe sur Terre. Par "groupe", j'entends agrégat de - plus ou moins - bonnes volontés prétendant jouer de la musique, assemblées derrière une figure charismatique capable de cristalliser leurs dons respectifs et de les porter au-devant de l'auditeur. Aujourd'hui où géométries variables et confusion des genres s'emparent avec bonheur de nos paysages musicaux, s'obstiner à officier encore en bande, et derrière la bannière pop-rock, peut prêter à sourire. Mais, crédible à la ville, dans le salon, la voiture, comme à la scène, la musique dont se fend la garde mobile réduite de Kevin Parker parvient à convaincre et à rassembler les amateurs de guitares et les férus de comptines populaires, l'auditeur distrait comme le public exigeant. A l'écoute de ce "The Less I Know The Better", on en vient presque à ne plus douter de la sincérité d'un Pitchfork qui voudrait nous faire prendre les vessies d'un rap mainstream pour les lanternes de la grande musique populaire. Et ouvrir les vannes de la FM. Merci donc à Tame Impala d'appliquer ses leçons d'efficacité derrière l'écran de fumée vantard de son leader.

 

1 série

The Leftovers - Saison 2

La saison 1, pleine de promesses que ne parvenait pas à développer une mise en scène hésitant entre idées fines et fausses pistes, en a fait fuir plus d'un. Logiquement, les spectateurs potentiels figuraient aux abonnés absents lors de la diffusion du premier épisode de la seconde saison. Et les réseaux ont relayé trop peu ou trop tard le crescendo de tension et d'émotions qui tendait cette seconde salve. La plupart d'entre vous devra donc continuer à ignorer le chemin de croix de Kevin Garvey et de ses acolytes vers la résolution d'un mal-être. Celui dans lequel nous nous enfermerions si 2% de nos contemporains venaient subitement à disparaître. De cette dystopie "douce" (pas de cataclysme, point d'armaggideon, juste une part de la matière humaine prélevée comme un dû), on retiendra surtout la détresse dans le regard de Kevin Garvey, possédé par Justin Théroux comme on s'empare d'un corps dont on pense qu'il nous appartient.

 

 

1 musique de série

Max Richter - Thème des Leftovers

Un bonheur n'arrivant jamais seul, les images des Leftovers laissaient défiler une bande-son (créée pour l'occasion ou piochée dans le terreau déjà disponible) d'une rare justesse. Oubliant de faire la maligne, elle laissait le récit s'épanouir, se contentant de le ponctuer, de le rappeler parfois à l'ordre ou d'attendre en coulisses. Ainsi, les scènes se déroulaient souvent sans l'adjonction, pas forcément utile, de surlignage musical. On découvrait quelques perles (la petite musique de chambre de Stéphanie Mabey, devenue rare depuis le premier album de Lonely Drifter Karen, la cover envoûtante du Where is My Mind des Pixies par Maxence Cyrin) et on tendait l'oreille à chaque instant, espérant que le thème de Max Richter voudrait bien venir s'y déposer.

 

 

1 exposition

Maison européenne de la photographie - Jacques-Henri Lartigue - La Vie en couleurs

Je n'ai pas eu la patience de faire la queue à l'exposition Wharol. Pourtant, les photos de Shadows qu'on m'en a ramenées prouvent que l'Américain savait encore faire venir des pousses sauvages dans son jardin mondialisé. Shadows est emprunte d'une beauté sombre et minimale qu'on attendait plus du côté de la musique répétitive que de celui du communiquant en chef et de ses sérigraphies. Soit.

Je vous vends ça à la place. Une "petite expo" d'un grand maître dans une superbe localisation. La MEP, son hall fastueux des années 70 en introduction à un hôtel particulier aux marbres éreintés, typique du Marais. Comme Matisse, collant au hasard ses découpages dans un accès de sénilité précoce au soir de sa vie, Lartigue, à la soixantaine, abandonnera le noir et blanc qui retenait peut-être encore sa créativité pour s'essayer à la couleur avec une fraîcheur et une fantaisie qu'on pourrait penser indignes d'un homme mûr. Comme matisse pourtant, c'est dans cet espace de grande liberté qu'offre un art non encore fatigué par le regard et l'habitude qu'il trouvera son expression la plus personnelle, la moins inféodée. Ebloui par la toute jeune Florette qui s'exprime à ses côtés, il donne à voir un monde qui n'existe que dans les rêves d'enfants. Comme Matisse toujours, il rencontre alors l'idéal, prôné par Picasso, de la spontanéité enfantine.

 

Lartigue_Meridien_Color

 

1 endroit

Musée des années 30 - Boulogne

Découvert par un samedi après-midi de juillet, alors que la lumière retenait les ombres, le musée des années 30 se dissimule en contrebas de la mairie monumentale de Boulogne. Noir et métallique, miroitant, il abrite une collection de meubles, de toiles et de céramiques dont pas un visiteur n'a pu me distraire du spectacle ce jour-là : j'occupais seul les lieux.

Développant ses espaces à coup de découvertes (les orientalistes du début du siècle, plus férus de géométrie et de couleur que de folklore), imposant la rigueur des meubles d'Herbst ou le raffinement de ceux de Rulhmann, dévoilant l'air de rien une litanie de céramiques, l'endroit met en scène une époque un peu négligée qui multipliait pourtant les théories sur l'avenir de l'environnement quotidien de l'homme. Dans le contraste encore patent entre la fonctionnalité de certaines pièces et l'aspect strictement décoratif de bien d'autres, on sent que le 20ème siècle cherchait encore sa forme. Forme qu'il ne trouvera qu'après la seconde grande guerre et dont on assiste ici à l'accouchement plutôt contrarié. Pour ce combat entre le détail et le tout, le discours et ses mises en place fermes ou hésitantes, l'endroit mérite plus qu'une simple visite.

Après quoi, Boulogne, Auteil, Passy, quartiers isolés du Paris en mutation, détenus dans un temps sans âge, offriront au promeneur les secrets de leurs passages, le calme de leurs trottoirs peu empruntés, les mystères de leur architecture sans ascendants, fille d'une Europe plus fantasmée que réelle.

 

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1 film

Nabil Ayouch - Much Loved

J'ai déjà dit tout le bien que je pensais de l'étude d'Ayouch sur le Maroc contemporain. Il me semble cependant qu'avant d'annoncer qu'il s'agissait d'un grand film sur la condition féminine (et pas qu'en terre musulmane), j'ai oublié de préciser qu'il s'agissait avant tout d'un grand film. Avec des échanges oraux dignes des meilleurs Cassavetes, une image à la fois dure et caressante, un scénario habile et retors, des situations qui sentent fort la réalité, quand le quotidien se rapproche de la putréfaction. On ne fait que rarement du bon cinéma avec de bonnes idées. Jamais avec de bons sentiments. Much Loved regorge pourtant des deux.

 

much_loved_4

 

1 autre morceau

Bob Moses - I Ain't Gonna Be the First to Cry

On peut supposer qu'un duo de petits blancs qui s'invente un état civil volé à un défenseur de la cause afro-américaine ou à un musicien de studio, également producteur et compositeur, c'est comme on voudra, doit avoir pas mal de confidences à faire. On peut, aussi, avouer qu'on s'en balance, le discours qu'on attend de la musique ne se construisant pas sur les mots, mais sur les rythmes et sur les notes. On peut, enfin, s'étonner de constater qu'un morceau dont on avait interrompu la première écoute a fini par trouver le chemin des enceintes et installer durablement sa petite musique de fond qui en dit plus qu'il ne paraît au premier abord.

Deep house ? Pour la profondeur de champ et les frissons nocturnes. Soul ? Pour cette façon de retenir d'abord les émotions avant de les laisser aller par la suite. Jazz ? Pour le rythme et les bruissements de vie. Bob Moses ? Une façon élégante d'envoyer promener la lounge et ses accoutrements vulgaires, de dire qu'il n'est pas interdit de faire de la musique de salon avec des intentions qui viennent de la rue.

 

 

1 photo (x5)

Prises dans le métro entre minuit et 2 heures du matin - entre janvier et juin 2015

Malgré les peurs qu'il inspire, les craintes qu'il soulève, on oublie de dire que le métro est aussi un espace de vie, celui dans lequel nombre de citadins passent une partie de la leur, une alternative à l'extérieur, balisée, encadrée, et l'un de tenants de l'avenir de l'homme. Ce peut être aussi un endroit festif, lieu d'échange, de communications brèves, instantanées et sans lendemain. Un endroit où les êtres humains se croisent, s'observent, se jaugent et s'envisagent. Une agora. Un cadre urbain à l'image des autres. Ni l'enfer ici bas, ni le point focal de tous les maux de la société.

DSC08332.JPGstation Nationale

DSC04366.JPGsur la ligne 2, entre Barbès et Colonel Fabien

 

DSC05743.JPGMontparnasse

DSC05711.JPGStation Château d'eau

DSC06080.JPGLigne 9, entre République et Pont de Sèvres

 

1 autre film

George Miller - Fury Road

Le 20ème siècle fut le siècle des utopies. Le 21ème s'exprime à travers les dystopies. Après avoir rêvé le merveilleux à sa porte, l'homme ne se projette plus que dans l'horreur de l'après-apocalypse. En cela, Mad Max fut précurseur et revient aujourd'hui en vainqueur de sa catégorie. D'où la présence de Fury Road dans cette liste. Mais pas seulement pour cette raison.

C'est d'abord une affaire de corps et d'êtres. Parce que la confusion des genres, telle qu'on l'a envisagée, prend ses aises dans ce spectacle, que les héroïnes sont des guerrières quand le héros oublie les caractéristiques qui définissent l'humanité. Et s'il ne demeurait plus qu'un genre pour définir le genre humain ?

Si le Max de Furry Road est en-deçà de l'homme, défini par de simples stimuli, c'est pour mieux souligner la logique froide qui anime sa partenaire. A la tête d'une horde féminine improvisée qui se rencontrera bientôt dans la volonté de survie, la Furiosa habitée par Charlize Théron n'a qu'un souhait, qu'un but : échapper au servage, à l'emprise de l'homme. Sa quête obstinée, articulant l'intégralité du film, n'aura de cesse de se matérialiser ou de se fondre dans la mort. Autour d'elle, les hommes campent avec conviction des animaux qui ne tendent qu'à la violence en soi pour exister.

Pourtant, en dernier lieu, peu importe qui l'emportera. Tel un ballet ultra-violent, hyper-stylisé et flamboyant, Fury Road ramène le cinéma à son statut d'objet visuel, parce qu'un film, avant de se penser, de se vivre ou même de se comprendre, se regarde, et les images de ce reboot de Mad Max ont la même beauté âpre et sans pitié que celles de leur modèle du siècle dernier. Une beauté inquiétante de tueur en série qui capte la rétine et la retiendra prisonnière longtemps après que la dernière image aura occupé l'écran. Une beauté prenant corps dans celui de Charlize Théron, manchotte, tondue, la lèvre fine et crispée, dans toute l'aura de ses 40 ans. Une beauté qui, dans le monde en décalque, à peine démarqué du nôtre, qu'édifie George Miller, n'a d'autre raison d'être que par la femme. Quand elle rassemble les dernières miettes de l'humanité.

furiosa_madmax_650_1

 

1 dernier morceau

King Midas Sound x Fennesz - Waves

2012 avait connu les langueurs psychédéliques du "Feels Like it Only Go Backwards" de Tame Impala ; 2013, le "Teenage Girl" de Cherry Glazerr, quand des apprentis garagistes pensaient une nouvelle direction pour le rock sur fond de breaks et de halètements retenus ; 2014, le "Owl" de She keeps Bees, plaintif, remuant et ambitieux dans sa sécheresse. Pourquoi, donc, 2015 ne mériterait-elle pas son hymne ?

Parce que les hymnes parlent trop fort en ce moment. Qu'entre coups de feu, cadavres, déchéance de nationalité et drapeaux brandis haut et fort, il semble de circonstance de baisser la voix pour toucher au but. Voire, plus que de chercher à remporter les batailles à coup de discrétion, tenter d'éviter la bataille. Laisser à ceux que ça préoccupe et dont c'est l'activité, le soin de combattre et de persister à ne pas comprendre qu'offrir une prise c'est se reconnaître un adversaire.

Ecoutons plutôt les messages imperceptibles que la musique de KMS tente de nous envoyer depuis la surface de liquide bruissant que lui tricote Fennesz. Il y a fort à parier qu'il sera plus intéressant de décrypter cette nouvelle langue que de parler avec les mots d'idiomes presque morts qui ne devraient plus avoir cours depuis longtemps.

 

 

Merci de votre attention et mes meilleurs voeux pour cette année qui débute et s'annonce pleine de promesses. Si.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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