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le terrain de sport
15 février 2016

HOTEL COLON - SE SOUVENIR DES HEURES NOIRES - BARCELONE

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Bonjour,

pour ceux qui fréquentent Barcelone depuis peu, il n'est pas évident d'imaginer que cette ville fut un jour coupée de ses attaches méditerranéennes. Ni que l'animation qui enchante les rues du centre historique, du Born ou de l'Eixample, devait se chercher au fond des établissements de nuit ou aux abords des comptoirs des bars à cocktails.

Au début des années 80, Barcelone évoquait plus la ville hantée et fluctuante, jamais tout à fait la même, ni au même endroit, ni à la même heure, dépeinte dans le film de Deray "Un Papillon sur l'épaule" que la cité post-olympique, capitale du tourisme et de la fête. La Barcelone que j'ai connue, tenait de la ville provinciale endormie, avec ses trottoirs vides et ses restaurants pleins le dimanche midi et quasiment désertés le soir.

Il fut un temps où l'excitation que l'on ressentait à pénétrer la ville reposait à parts égales sur une sensation de dilatation de l'espace, propre aux vastes ensembles urbains, matérialisée par des réseaux de boulevards à 6 ou 8 voies qui drainaient la circulation jusqu'aux centres les plus denses, et sur l'impression que la fête revêtait encore les habits de l'interdit et qu'il fallait être initié pour la découvrir. Ce qui n'avait pas simple caractère d'idée ou d'illusion.

Ainsi, le décryptage des pages de Vivir en Barcelona et, plus tard, à l'approche des 90's, celui des guides de villes intégrés au mensuel City, furent mon sésame. Ces magazines formaient des piles précaires disposées à mon chevet et j'y entrai comme d'autres doivent entrer en religion : avec crainte et ferveur. Les journalistes y distribuaient avec nonchalance des noms qui auraient pu être mon Carmel à moi. Bijou, Gimlet, Nick Havanna, Velodromo pour leur propension naturelle à filtrer les plaisirs liquides et alcoolisés. Universal, Mirablau, Ars Studio, Otto Zutz, Distrito Distinto pour des jouissances plus tardives, quand la musique devenait prétexte à tomber plus rapidement dans des abîmes. Profondeurs dont le soleil cruel du matin nous tirait depuis des chambres douteuses, pas seulement sales, mais également délabrées.

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Vint le moment où je dus songer à combler le gouffre ouvert entre le faste des notes que je laissais à la caisse des restaurants ou au comptoir des bars, et la trivialité des chambres que nous occupions. Le Colon, adresse historique, ne représentait pas seulement un hôtel avec - vue, passé, mémoire, réputation. En ce mitan des 80's, il passait surtout pour le seul grand hôtel envisageable, pour qui ne voulait pas se laisser aller à la facilité des établissements de chaînes ou n'avait décidément ni les moyens, ni l'envie, de céder aux caprices du Ritz.

A égale distance du port et de la Place de Catalogne, l'hôtel traçait aussi un point median sur le parcours entre les deux anciens centre de propagation de la terreur franquiste, tout proches l'un de l'autre, à savoir la cathédrale et le commissariat central. Gênante, cette proximité ne signifiait malgré tout pas grand-chose pour un jeune Français. Quelques notions scolaires glanées sur la guerre civile et les 40 années qui avaient suivi. L'apprentissage viendrait par la suite avec la prise de conscience de la situation du pays, à la croisée des chemins d'un passé sombre et d'un avenir ouvert sur une transition délicate à opérer.

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Je ne suis pas retourné au Colon. Il m'est donc difficile d'en décrire avec certitude les arcanes, les circonvolutions internes. Il me semble qu'il fallait grimper quelques marches pour rejoindre la réception, qu'on rencontrait à main gauche. En bois rouge travaillé, elle précédait un couloir qui desservait les ascenseurs. Des ramages ornaient les moquettes. Les fauteuils, recouverts de tapisserie plutôt que de velours ou de drap. Partout des rideaux un peu défraîchis. Un classicisme bizarrement teinté de détails anglo-saxons. La chambre, de dimensions plutôt restreintes, dégageait une impression de confort. Au quatrième étage en angle, elle donnait sur la Place de la Seu et, au-delà, sur le parvis de la cathédrale.

Les six heures de voyage nous avaient fatigués, avec le changement de train à la frontière pour respecter l'écartement des voies, et les formalités douanières, puis un arrêt imprévu de plus d'une heure à Gérone. Il fut décidé que nous irions boire quelques bières sur le port, avant de choisir un restaurant. Sous la tutelle de la langoustine de Mariscal, nous prîmes place à la terrasse du Gambrinus. On nous amena la cana et un cocktail, avec des olives et des tranches de saucisson, ce qui allait encore de soi à l'époque. Quelques bateaux de plaisance entraient dans le rade. La soirée était douce et il semblait facile de demeurer là des heures, assis même inconfortablement sur les chaises post-modernes aiguës, à attendre que la nuit soit tout à fait installée. Plutôt que Can Sole qui nous demandait un quart d'heure de marche, nous avons opté pour le Passadis del Pep dont le menu n'évoquait pas encore un chemin de croix gastronomique pavé de lourdes et nombreuses propositions pour qui entendait manger léger. De grosses frites et une salade accompagnaient le dos de bar à l'ail brûlé. Après quoi, le Gambrinus n'avait pas encore fermé et les mêmes chaises nous attendaient que nous occupâmes devant des Patxaran glacés.

Sur la Via Layetana, malgré l'heure tardive, une bonne partie des fenêtres du commissariat central étaient encore illuminées, rejetant le bâtiment dans la pénombre, accentuant sa lourdeur et son aspect sinistre.

Le matelas se révéla plus confortable que l'état un peu laisser-aller de l'hôtel n'aurait pu le laisser supposer. Le lendemain, pour éviter le buffet du petit déjeuner, nous reprîmes la Via Layetana, toujours dans le même sens. Nous savions que quelques centaines de mètres plus bas, sur le trottoir d'en face, une pizzeria qui avait la réputation d'être la plus ancienne de la ville, offrait un café fort. La Perla Nera existe toujours, avec son décor inchangé de pierres apparentes et de meubles rustiques.

Quelques années plus tard, lors d'un bref séjour dans le quartier, nos finances ne nous autorisèrent que l'annexe, le Regencia Colon. La maison mère avait été refaite, dans un style "international" classique, et le mobilier, jusqu'aux rideaux semblait-il, avait été remisé au Regency.

Les magazines City et Vivir en Barcelona ont depuis longtemps disparu des kiosques. Des dizaines d'hôtels, plus luxueux ou plus "boutique" les uns que les autres, ont été construits ou sont venus occuper des bâtiments anciens pour répondre à la demande touristique croissante. Sur le port, le Gambrinus n'a pas survécu aux Jeux Olympiques. La langoustine et son sourire bon enfant continuent cependant d'accueillir le promeneur quand il débouche sur le port depuis la ville haute.

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Merci de votre attention

 

 

 

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