Bonjour,

si vous n'avez jamais fait l'expérience d'entrer dans une boutique de sneakers et d'en ressortir avec 4 paires de chaussures, il manque quelque chose à votre éducation. La sensation ressentie, outre son caractère jouissif, est composite, reposant à parts égales sur un lien fictif de complicité établi avec le vendeur, transformé en fabrique à sourires, et un accès subit à la gratuité, matérialisé par le don. En l'occurrence, deux numéros de Vice France et le dernier Kingpin.

Vice, on peut encore tolérer la version du réseau, mais leur volonté enfantine, scolaire et plus du tout touchante les années s'écoulant, de ne pas faire comme tout le monde et, surtout, de faire là où on n'a pas le droit, éclate en pein jour dans la version papier, franchement moche, dont on dirait qu'un gosse de 10 ans a pensé la maquette. Donc, direction poubelle. Kingpin, je confesse, je ne connaissais pas. Ma dernière confrontation avec le monde de la glisse urbaine remontait au siècle passé et à un exemplaire du magazine Paper (je me souviens de Rosanna Arquette flanquée en couverture avec les genoux qui se touchaient à une époque où peu de gens connaissaient le prénom de sa soeur) contenant un article sur le skate punk à LA. Ainsi qu'à une paire de Vans bicolores, modèle Era, achetée en 78 ou en 79, dont la semelle n'avait jamais fréquenté une planche.

Alors, je suis là à éplucher les feuilles de Kingpin et, derrière les silhouettes qui volent en figures savantes et cadrages déconstruits et me font immanquablement penser à des collages, comme si elles se désolidarisaient des paysages qu'elles traversent, je découvre la ville, photographiée comme rarement avant, avec une pertinence et une acuité qui blessent. Engluée de tristesse, ramenée à sa fonction première : accueillir une espèce en déshérence, abattue et docile, coupée de son contact avec la Terre qui la supporte. Puis, je reviens aux silhouettes qui animent les pages, et considère les basiques du skate board, ce qui est supposé le déterminer. S'emparer de la matière urbaine, la faire sienne et en redéfinir les contours jusqu'à les faire disparaître, comme si le skater figurait un tag humain. Et c'est pourtant, à force de réévaluer les visuels qui s'offrent ainsi, l'impression inverse qui se dégage des scènes photographiées. Si, dans l'idée, le sportif (si, c'est un sportif : vous pouvez renommer ça sport extrême, sport dans la marge, ce que vous voulez, ça demeure un sport) apprivoise le décor parce qu'il le maîtrise, cette illusion n'a que la force de l'instantanéité puisque, tout de suite, ce même décor le rejette, à l'égal d'un organisme évacuant un virus trop faible pour le coloniser durablement.

C'est la ville (et quelleS villeS : Barcelone, Moscou, Varsovie, et aussi, Londres, Bristol ou Detroit) qui sort gagnante de la lutte, reprenant ses droits à l'immeuble, rendue à sa beauté primitive, encore inutile, non encore encombrée par l'alibi de l'humanité. En attente. En devenir. Mise en valeur le temps d'un cliché par de petits hommes aux prétentions dérisoires. Travailler la ville au corps, prendre ses droits sur la rue. Mouais.

Merci de votre attention

sous la planche, la ville - Paris

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