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le terrain de sport
17 janvier 2016

la tête au Carré - portrait d'une maison - alvar aalto - Helsinki / Ile-de-France

MAISONCARRE3

Bonjour,

ma première rencontre avec la maison Louis Carré eut lieu dans l'enceinte glacée des pages d'un magazine. Choisissant le prétexte d'un sujet sur les tissus, le directeur artistique s'était emparé de l'idée, pour un résultat flatteur, de trahir l'esprit des lieux en les habillant d'une surenchère de textiles - ce qui m'avait également permis, à l'occasion, de découvrir le travail d'Alexander Girard. Déjà parées de bois clair, de cuir, de cuivre et de bronze, les surfaces recevaient ainsi une palette de rouges, d'émeraude et de jaunes, parfois semés de formes géométriques ou florales qui, loin de corrompre la beauté naturelle des matières, leur attribuait un surplus d'étoffe.

J'ignorais alors le parti-pris d'Aalto. Sur la volonté du commanditaire et futur propriétaire, galeriste de son état, l'architecte avait établi un cahier des charges précis visant à ne pas distraire le regard de la contemplation des oeuvres dont la maison se voulait l'écrin. Cette bible excluait les tissus, notamment les tissus à motifs dont le magazine venait de faire grand usage. Une petite entorse bien innocente, s'adaptant avec élégance au programme initial. Musée à vivre ou maison à exposer, la villa Carré, venait de m'offrir la fluidité de ses intérieurs, tournés partie vers la mise en valeur des toiles, partie vers la simplification des échanges. Circulation des corps, transmission des regards, sanctification de l'art, accueil de la part intime du collectionneur. Un vaste hall, à la fois coeur et poumon, âme et respiration, régulait les échanges.

CARRE13

La découverte des extérieurs fut plus problématique. Inquiétude, sensation d'accepter quelque chose qu'on ne saisit pas parce que ce tout, bien que conçu en harmonie avec son environnement, se refuse, isolé sur lui-même.

Epousant les contours du terrain, tapi dans un repli du paysage comme un gros iguane blanc à crête d'ardoise, l'édifice s'articule autour d'un principe de juxtapositions de cubes et de triangles, rythmé par des échancrures tamisées de lattis. En rupture avec les angles droits auxquels le modernisme nous a habitués, la création d'Aalto accepte la pente, la multiplication des angles aigus et les ruptures soudaine d'à-plats comme des normes censées obéir à une règle nouvelle. De la même manière, les quatre façades, loin de se répondre, donnent l'impression de se tourner le dos, de nous raconter des histoires différentes.

MAISONCARRE4

Complexe à appréhender, lointaine cousine organique de la cathédrale de Brasilia ou de l'opéra de Sydney avec lesquels elle partage une vision autre de l'occupation de l'espace, mais diverge dans l'image qu'elle offre d'elle (exhibitionniste pour les unes, discrète pour l'autre), la maison finit cependant par se trouver une unité et une unicité, par prendre prise en tant qu' émanation d'un songe, installation intègre et intégrale, impossible à dissocier de la pensée de l'architecte qui l'a envisagée dans ses moindres recoins et du vendeur d'art qui l'a sollicitée. Un rêve éveillé et partagé, créature siamoise née sur la terre des Yvelines.

Inscrites dans les gênes de cette projection d'une amitié, deux idées fixes, deux contraintes : le renoncement aux toits plats, transgression des enseignements hérités du Bauhaus, de DeStijl et des normes établies par quarante années d'architecture contemporaine, et l'utilisation de l'ardoise. Noir bleuté de la pierre en contraste avec la blancheur des murs et la blondeur des intérieurs. Lumière de bière blonde qu'on rencontre au détour des claustras, habillés de fines lattes, découpés dans les arrêtes des toits et dans les façades, dans les échauguettes et les blocs d'habitation qui, plus que jamais au détour de l'histoire de l'architecture, évoquent ici un jeu de construction livré aux mains d'un enfant génial, mais obsédé par l'équilibre. Et sa précarité. Car toute la valeur de la réalisation se précise dans une contrainte à la maladresse, cet état béat tenant le fil d'une démarche ivre en équilibre sur les sentiments du maître d'oeuvre. En appelant sans doute plus à la recherche introspective qu'à l'admiration immédiate, la maison Carré, au-delà de la réussite qu'elle convoque, vit sur le fil ténu des grands romans de grands stylistes : quand la phrase rompt avec la continuité pour laisser derrière elle une trace en pointillés que le lecteur doit s'efforcer de relier. C'est en testant qu'on trouve des points d'attache, en tombant qu'on percute la réalité. Je ne m'impose pas, semble nous dire le bâtiment. C'est vous qui proposez. Et le paysage discret sur lequel il est venu se poser ne peut que l'en remercier. Et nous de féliciter Louis Carré de ne pas avoir fait le choix, ainsi qu'il l'envisageait initialement, de Le Corbusier comme chef d'orchestre du projet ; de la simplicité revendiquée et finalement ostentatoire du maître, derrière l'oeuvre duquel la nature tendre des Yvelines n'aurait pu que se retirer en frissonnant.

Merci de votre attention

 

Détails

MAISON_CARRE_1

MAISON_CARRE_2

 

MAISONLOUIS_CARRE_PL

 

 

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