Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
le terrain de sport
31 janvier 2016

LE CABANON DE L'ARCHITECTE - UN REVE DE RAISON - LE LAVANDOU

CABANON_LEFEVRE_4

Bonjour,

dans une autre vie, pas si éloignée que ça, 15 ans, peut-être, se sont écoulés, j'ai acheté Marie-Claire Maison. On entretient tous nos petites maladies honteuses, que l'on tait ou non. J'ai choisi de révéler la mienne. Non sans raison. Ces pages m'ont aidé à trouver les fournisseurs que je cherchais pour réhabiliter la maison que nous allions occuper lors de nos séjours en France, dans la grande périphérie de Perpignan. Elles fourniront également une partie des photos de ce post étant donné qu'elles sont les seules à s'être intéressé au cabanon de l'architecte, ce qu'il serait injuste de leur reprocher.

Il fut un temps où cette revue avait donné un espoir à toute une petite bourgeoisie. Celui de venir elle-même à bout de ses questionnements sur la décoration intérieure. De faire descendre les problématiques de l'architecture quotidienne dans une arêne ouverte à tous. Pas une mince affaire, ainsi que le savent ceux qui ont lu "Le Planetarium" de Nathalie Sarraute. Nos angoisses prennent la mesure de nos vies. Celles de la petite bourgeoisie ne sont pas moindre que celles du prolétariat. Elles ne rencontrent pas les mêmes points d'ancrage. Quoi qu'il en soit, prétendant dans un premier temps à une place au soleil laissée en France par, admettons, Domus, Marie-Claire Maison dut atterrir en catastrophe sur les plates-bandes de La Maison de Pénéla. Ce qui ne représente pas une honte en soi, simplement un recalibrage de prétentions.

CABANON_LEFEVRE_3

Par cynisme ou par naïveté, je préfère continuer à l'ignorer, l'une des rubriques-phare de ces années avait d'ailleurs été baptisée "Reality Déco". Elle aurait aussi bien pu s'appeler Vous avez du talent (mais si, vous aussi) ou Nos lecteurs ont du talent. Sur sélection préalable de la rédaction, et après simple envoi de Polaroïds, un lecteur pouvait y étaler sa petite oeuvre à usage intime avec une impudeur qui faisait trembler. Bien entendu, un journaliste "chargé de mission" mettait d'abord en avant les quelques "trouvailles" décoration du foyer, avant de s'empresser de les descendre ensuite en flammes, écornant l'absence de vision globale du projet avec toute la gentillesse et la condescendance dont on sait capables les demi-sel ni architectes, ni antiquaires, ni même réellement décorateurs qui soulignent en mots les visuels de ces magazines.

Grâce à sa profession, à quelques amitiés providentielles, Marcel Bodart ou Georges Jouve, faciles à citer au détour d'une conversation ou d'un article, André Lefèvre-Devaux, disparu aujourd'hui, avait trouvé le chemin de l'article en soi, échappant à l'humiliation de voir son nom figurer en en-tête d'une livraison de "Reality Déco".

CABANON_LEFEVRE_1

Pourtant, son cabanon, dit Villa Le Pin Blanc, échelonné à contre-pente d'un terrain accidenté s'acheminant vers la Grande Bleue, ne dispense pas les leçons essentielles que rabâchait à longueur de pages l'équipe rédactionnelle. Telles que : faire du vieux neuf avec du faux vieux, ou encore : créer artificiellement des associations spontanées. Réfutant les adages de ces rois de l'oxymore décoratif, l'architecte ne compile pas meubles vintage et patines, vieilles nappes reteintes en drap (ou vice-versa) et lampes de Ionel Lebovici, meubles en plastique de Joe Colombo, dessertes Adnet et armoires gustaviennes, chaises dépareillées et tables de récupération. On ne trouve là que matières simples et brutes, ardoise, pierre sèche, pin, coton, terre cuite et albâtre. Incapable de déroger à la vision de l'architecte, l'intérieur de Lefèvre-Devaux manque visiblement d'humour et de fantaisie. On y sent l'idée fixe, voire l'obsession. Un respect de certaines notions pratiques et esthétiques. Une application tatillone des hiérarchies de circulation.

Campant sur leurs positions, contre vents et marées, multipliant les solutions permettant de déjouer les pièges du terrain (l'escalier sculptural semblant ne mener à rien, sinon au vide), s'obstinant à sélectionner (et non à collectionner, cette vilaine manie névrotique) sculptures et céramiques avec un sens de l'économie et de la vie propre à l'objet horripilants, Lefèvre-Devaux et son épouse, depuis le petit jardin escarpé jusqu'aux placards et aux pièces humides, sont parvenus à dessiner un intérieur qui évoque un paysage mental - ce que devrait s'efforcer d'être tout foyer - et une enveloppe qui le porte vers l'extérieur. On sent qu'une conversation se tient entre les volumes et les matières, les objets et les tissus, dont on devine qu'elle associe de vieux amis et que, plutôt que de réunions de chantiers, c'est de son évolution que la maison est née. En respectant les silences et sans qu'un mot soit prononcé plus haut que l'autre. Un dialogue qui a évolué avec les ans pour se diriger vers une réflexion domestique sur l'occupation de l'espace. Non un total look désincarné, mais une application des théories de la France de la Reconstruction dans ce qu'elle tenait de plus noble. Approche de l'essentiel et respect de la dimension humaine, philosophie du pratique et du beau mis à la disposition de tous par rationnalisation des critères de production. L'architecte et son épouse n'ont pas ressenti le besoin de s'inventer un passé puisque leurs pensées s'assemblaient autour d'un futur immédiat, à la taille de l'homme.

CABANON_LEFEVRE_2

Un futur qui prenait forme non pas dans son volume international, mais dans sa texture quotidienne. Et se penchait, depuis le balcon, sur le ventre en perpétuel mouvement de la mer nourricière.

 

Quelques photos de l'intérieur de la villa et du jardin

DSC08837

Le pélican de Marcel Bodart

 

DSC08836

Le salon, son mur de pierres sèches, le canapé Togo de michel Ducaroy - Sur un surplomb, céramiques de Georges Jouve qui évoquent les natures mortes métaphysiques de Morandi

 

DSC08838

Tournée vers la mer, inox, formica et pin massif, la cuisine met ses formes au service du fond

Merci de votre attention

 

Publicité
Commentaires
Publicité
Archives
Publicité